Lycée Clemenceau

Lycée D'Enseignement General – Nantes

Pays de la Loire
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Jeudi 10 janvier, 175 élèves de 1ère ES, 1ère S, Terminale L, Terminale S et CPES ont vécu un moment fort qui les marquera sans doute le reste de leur vie.

Pendant 2 heures et demie, Esther Senot, déportée à Auschwitz parce que juive, leur a raconté son histoire, sans chercher à les convaincre de quoi que ce soit, évoquant les faits qui l’ont conduite, comme le reste de sa famille, vers l’enfer. Avec l’énergie mais aussi l’humour qui la caractérisent, elle leur a fait passer une leçon de vie, sans oublier de faire le lien avec l’actualité. Cette femme extraordinaire les a appelés à être vigilant, à ne pas laissé ressurgir le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme.

Le lycée Clemenceau a eu pour l’occasion la joie d’accueillir une classe de 3e du collège Debussy. Les questions furent nombreuses, l’émotion palpable.

 

Article publié dans le journal Ouest France

Pendant deux heures et demie, ce jeudi 10 janvier, Esther Senot, déportée à Auschwitz en 1943, a témoigné devant près de 180 lycéens et collégiens, au lycée Clemenceau, à Nantes. Avec un mot d’ordre : « Faites preuve de tolérance ! »

Reportage.

Regroupés autour d’Esther Senot, 91 ans, des élèves du lycée Clemenceau et du collège Debussy, à Nantes, veulent voir le numéro. Esther remonte sa manche. Apparaissent les chiffres gravés dans sa chair : 58 319. « Ce numéro a beaucoup intrigué les gens qui le voyaient l’été. On me demandait si c’était mon numéro de téléphone, un numéro de loterie. Ou même si c’était mon groupe sanguin » , raconte-elle à un petit groupe.

Quelques minutes avant, un autre élève lui avait demandé de dire ce fameux numéro. Elle l’avait prononcé dans trois langues : français, allemand, polonais…

Plusieurs élèves ont voulu voir le numéro gravé dans la chair d’Esther Senot. | Ouest-France

« Droit à la différence »

Pendant plus de deux heures, Esther Senot a témoigné, raconté sa déportation à Auschwitz-Birkenau, le camp d’extermination. Pour faire œuvre de passeuse. Pour que parmi les 175 jeunes présents hier au lycée Clemenceau, « ceux qui se sentent concernés » portent ses paroles. « Nous ne sommes plus qu’une poignée de survivants. C’est à vous les enfants que je m’adresse. Lorsqu’on n’aime pas son voisin parce qu’il n’est pas tout à fait comme soi, cela s’appelle du racisme. Racisme qui a conduit à la déportation, aux pires horreurs. Je compte sur vous pour que vous puissiez faire preuve de tolérance et que vous reconnaissiez le droit à la différence. Le racisme, l’antisémitisme, la xénophobie sont à nouveau très virulents en ce moment en France. »

Assise le dos bien droit, sur une chaise devant une table, sur l’estrade de la grande salle de conférence Narcejac du lycée Clemenceau, elle a rappelé les faits en les replaçant dans leur contexte historique. Sans pathos.

Chasse aux juifs

Sa famille s’est installée en France six mois après sa naissance, en 1928, fuyant les difficultés économiques de la Pologne et l’antisémitisme.

Ses mots sont cliniques. Quand la France est tombée sous la botte des Nazis, c’est le gouvernement français de Vichy qui a organisé la politique antijuive, rappelle-t-elle : « Les arrestations étaient faites par la police et les forces de l’ordre françaises. »

Sa famille, parce que juive, a été prise dans la rafle du Vel-d’hiv, en juillet 1942. Esther Senot y a échappé car elle s’était absentée pour quelques heures du domicile ce jour-là. Se retrouvant seule, à 14 ans, elle est parvenue en zone libre pour y rejoindre un de ses frères… Après avoir traversé toute seule la nuit une forêt. Mais une fois toute la France occupée par les Allemands (et les Italiens au sud-est), elle est revenue à Paris, où elle a été arrêtée. Elle sera déportée début septembre 1943.

Esther Senot est venue témoigner sur l’invitation de Françoise Moreau, professeur d’histoire au lycée Clemenceau. | Ouest-France

« Nous sommes entrés en enfer »

Après trois jours d’un terrible voyage, entassés dans des wagons à bestiaux, « nous sommes entrés en enfer. Il y avait cette fumée, ces odeurs, les cadavres par terre. Les SS et leurs chiens qui couraient derrière des squelettes ambulants. On a vite appris. À Auschwitz-Birkenau, vous entrez par la porte mais vous en ressortez par la cheminée. Les Nazis nous désignaient sous le nom de stück , ce qui signifie morceau en allemand. »

Esther y a survécu. La seule de sa famille. « J’y ai perdu une vingtaine de proches » .

Ce qui l’a maintenue en vie ? « À 15 ans, on ne veut pas mourir ». Mais, dit-elle aussi,« au printemps 45, à l’issue d’une marche de la mort, d’un camp à un autre, de la Pologne à l’Autriche, en passant par l’Allemagne et la Tchécoslovaquie, je voulais lâcher. Tous les jours d’autres déportés s’écroulaient sur le sol et étaient achevés d’une balle dans la nuque par les Allemands. J’avais renoncé.   C’est mon amie déportée Marie qui m’a permis de garder un souffle de vie. »

« Personne ne voulait nous croire »

À son rapatriement en France, elle ne pèse que 32 kg ! Le retour est très difficile. Elle est seule à Paris. « À l’époque, il n’y avait pas de cellule psychologique. Personne ne voulait nous croire. On nous culpabilisait d’avoir survécu. Dans l’après-guerre, nous étions les oubliés de l’Histoire. »

Esther Senot fait une dépression sévère qui la conduit à l’hôpital, mais elle se relève « Je suis devenu vendeuse dans une maison de couture. Je me suis mariée. J’ai trois fils, six petits-enfants, six arrière-petits-enfants. » Elle en est heureuse.

Esther Senot avec des collégiens de Debussy. | Ouest-France

Pourquoi ? Comment ?, demandent les élèves

« Qu’est ce qui vous a poussé, un jour, à témoigner dans les lycées, les écoles ? », demande une lycéenne. « Dans les années 80, je suis allée en Pologne en voyage privé, avec mon mari. Nous avons visité Auschwitz-Birkenau. La guide polonaise a expliqué, évoqué les Polonais internés à Auschwitz. Mais elle n’a jamais parlé des juifs. À un moment donné, je n’en pouvais plus, j’ai pris la parole. »

« Êtes-vous croyante ? », lance une autre lycéenne. « Non, mes parents n’étaient pas du tout pratiquants et moi non plus. D’ailleurs, Dieu devait être occupé ailleurs, à l’époque. »-

« Comment avez-vous repris foi en l’humanité ? », questionne une autre élève. « Si on vit dans la haine, on ne peut rien construire. Je crois que j’ai eu deux vies. Une normale et celle des camps, une vie qui ne m’a jamais quittée. »